Racisme

RACISME

Qu’est-ce que c’est ?

Le racisme est une idéologie qui, partant du postulat de l'existence de races au sein de l'espèce humaine, considère que certaines catégories de personnes sont intrinsèquement supérieures à d'autres. Il se différencie ainsi du racialisme qui, partant du même postulat, ne considère pas les races comme inégales. Cette idéologie peut amener à privilégier une catégorie de personne à une autre, qui se trouve reléguée à une classe sociale jugée inférieure et subit alors, de manière intersectionnelle, le mépris de classe en plus du racisme. Le Petit Larousse a deux définitions du racisme, au sens strict du terme, comme « idéologie fondée sur la croyance qu'il existe une hiérarchie entre les groupes humains, les « races » ; comportement inspiré par cette idéologie », et au sens large du terme, comme « une attitude d’hostilité répétée voire systématique à l’égard d’une catégorie déterminée de personnes ».

Cette hostilité envers une autre appartenance sociale (que la différence soit culturelle, ethnique – ou tout simplement due à une couleur de peau) – se traduit aussi par des formes de xénophobie ou d’ethnocentrisme. Certaines formes d’expression du racisme, comme les injures racistes, la diffamation raciale, la discrimination, sont considérées comme des délits dans plusieurs pays.

Les idéologies racistes ont servi de fondement à des doctrines politiques conduisant à pratiquer des discriminations raciales, des ségrégations ethniques et à commettre des injustices et des violences pouvant aller, dans les cas extrêmes, jusqu'au génocide.

Selon certains sociologues, le racisme s’inscrit dans une dynamique de domination sociale à prétexte racial. Le « racisme inversé » est pour sa part une expression qui use du terme « racisme », mais décrit un acte ou un propos venant non des membres d'un groupe social dominant, mais d'un groupe anciennement ou actuellement dominé ; la dénonciation d'un racisme inversé ne suppose pas l'adhésion aux idées racistes qui sous-tendent par exemple le suprémacisme blanc.


Étymologie

Selon le CNRTL, le mot racisme serait apparu en 1902 alors que le mot raciste daterait de 1892.

Selon Charles MaurrasGaston Méry (1866-1909), pamphlétaire, journaliste collaborateur à La Libre Parole — le journal antisémite et polémiste d'Édouard Drumont — est la première personne connue à avoir utilisé le mot « raciste » en 1894.

Toutefois l'adjectif « raciste » et le nom « racisme » ne s'installent dans le vocabulaire général en France qu'à partir des années 1930Léon Trotski l'emploie en 1930 dans son Histoire de la révolution russe, pour qualifier les tenants modernes des théories racistes, ce qu'il développera encore en 1933 vis-à-vis du nazisme.

Les deux mots font leur entrée pour la première fois dans le dictionnaire français Larousse en 1932.

Idéologies, perception et pratique

La littérature met, au XIXe siècle, en avant le caractère pluridimensionnel du racisme. On peut distinguer :

  • sa dimension conceptuelle et idéologique : il s’appuie sur des systèmes de discours qui prétendent à la scientificité ;
  • sa dimension perceptive : il constitue un regard, un prisme qui oriente et instruit notre perception de « l'Autre » ;
  • sa dimension pratique : le racisme en actes se manifeste par des actions individuelles (violences, insultes…) ou des systèmes de domination institutionnalisés (apartheidségrégationcolonisationesclavage…).


Race en tant que construction sociale

Si la notion de « race humaine » et le concept du racisme sont partie liée, l’étude de leurs relations nécessite d’opérer une première distinction entre la race en tant que concept biologique et la race en tant que constructivisme social que l’on peut définir comme « un signe ou un ensemble de signes par lesquels un groupe, une collectivité, un ensemble humain est identifié, dans certains contextes historiques précis, cette apparence socialement construite variant suivant les sociétés et les époques ».

Au cours de l'histoire, les définitions sociales de la « race » se sont souvent appuyées sur de présupposés caractères de nature biologique. La race (en tant que construction sociale) est cependant devenue largement indépendante des travaux menés sur la classification biologique des êtres humains qui ont montré que la notion de race humaine n'est pas pertinente pour caractériser les différents sous-groupes géographiques de l'espèce humaine, car la variabilité génétique entre individus d'un même sous-groupe est plus importante que la variabilité génétique moyenne entre sous-groupes géographiques.

Cette conclusion est cependant contestée par A. W. F. Edwards  qui critique, dans son article La diversité génétique humaine : l'erreur de Lewontin  (2003), l'argument, présenté en 1972 par Richard C. Lewontin The Apportionment of Human Diversity (La répartition de la diversité humaine), soutenant que la division de l'humanité en races est taxonomiquement invalide.

Le consensus scientifique actuel rejette l’existence d'arguments biologiques qui pourraient légitimer la notion de race, reléguée à une représentation arbitraire selon des critères morphologiques, ethnico-sociaux, culturels ou politiques. Cette autonomie se manifeste pleinement depuis la seconde moitié du XXe siècle où les effets du système de perception raciste perdurent en dépit d'un usage moins fréquent, et malgré le rejet du concept de race par la communauté scientifique.


Focalisation

Le racisme se fonde sur la focalisation du regard du raciste sur une différence, souvent anatomique. Elle peut être « visible » – la pigmentation de la peau – mais ne l’est pas nécessairement : le regard raciste peut exister sans s’appuyer sur des différences visuelles évidentes. La littérature antisémite a ainsi abondamment cherché, sans succès, à définir les critères qui pourraient permettre de reconnaître visuellement les Juifs et a finalement dû mettre en avant des différences invisibles, imperceptibles pour l'œil humain.


Totalisation

Le racisme associe des caractères physiques à des caractères moraux et culturels. Il constitue un système de perception, une « vision syncrétique où tous ces traits sont organiquement liés et en tout cas indistinguables les uns des autres ». L'identification des traits physiques ou la reconnaissance du signe distinctif (l'étoile juive par exemple) génère immédiatement chez le racisant une association avec un système d'idées préconçues. Dans le regard du racisant, « l'homme précède ses actes ». Si la focalisation du regard raciste rend le corps visé plus visible que les autres, il a donc aussi pour effet de faire disparaître l’individualité derrière la catégorie générale de la race.


Essentialisation et limitation

Le raciste considère les propriétés attachées à un groupe comme permanentes et transmissibles, le plus souvent biologiquement. Le regard raciste est une activité de catégorisation et de clôture du groupe sur lui-même.


Hiérarchisation

Le racisme s’accompagne souvent d’une péjoration des caractéristiques du groupe visé. Le discours raciste n’est toutefois pas nécessairement péjoratif. Pour Colette Guillaumin, les « bonnes caractéristiques font, au même titre que les mauvaises caractéristiques, partie de l’organisation perceptive raciste ». La phrase « Les Noirs courent vite » constitue ainsi un énoncé raciste malgré son apparence méliorative.

Le discours raciste peut évoquer la supériorité physique des groupes visés (ainsi la vigueur ou la sensualité des Noirs) pour souligner par contraste leur infériorité intellectuelle. Les qualités qui leur sont attribuées (l’habileté financière des Juifs par exemple) sont la contrepartie de leur immoralité ou alimentent la crainte de leur pouvoir souterrain.

Mais plus encore, au-delà du contenu — positif ou négatif — des stéréotypes racistes, l’activité de catégorisation, de totalisation et de limitation de l’individu à des propriétés préconçues n’est en soi pas une activité neutre du point de vue des valeurs. Dans cette perspective, voir et penser le monde social dans les catégories de la race relève déjà d'une attitude raciste.



Origines

Historiens et ethnologues ne sont pas d'accord sur la question de l’origine du racisme ; deux conceptions principales s'opposent à ce propos. La première considère que le racisme est un sous-produit du capitalisme européen, en lien avec le colonialisme. La seconde que différentes formes de racisme se sont succédé au cours de l’histoire en Europe, et ce depuis l'Antiquité.

Le terme « race », appliqué à des êtres humains, est écrit pour la première fois en 1684 par François Bernier, dans un article du Journal des Sçavans. Il y écrit « quatre ou cinq espèces ou races d’hommes dont la différence est si notable qu’elle peut servir de fondement à une nouvelle division de la Terre ».

Il existait entre les historiens, depuis la seconde moitié du xxe siècle, un consensus relativement large pour considérer que l'utilisation de la notion de racisme dans l’Antiquité est un anachronisme. En effet, toutes les sociétés antiques et primitives sont, de notre point de vue contemporain, des sociétés racistes et xénophobes.

Les Anciens Grecs distinguent les peuples de l'Hellade, des autres peuples qu'ils appellent barbares. Presque tous les autres peuples antiques avaient la même représentation duale du Monde en deux races, les peuples apparentés, et les peuples étrangers ou ennemis; cette opposition entre deux collectifs est ce qui définit le domaine politique et le droit des gens. Parmi les peuples considérés comme étrangers, tous ne sont pourtant pas ennemis : les relations militaires, commerciales et diplomatiques instituaient des peuples amis, clients, alliés ou invités qui pouvaient alors être reconsidérés fictivement comme des peuples apparentés.

L'utilisation du terme « race » en tant que synonyme intégral de peuple/nationalité perdure jusqu'à la fin du XIXe siècle. Ainsi, les œuvres littéraires de Jules Verne abondent de formules stéréotypées comme « les Allemands, race industrieuse et organisée », « les Français, race romantique et galante » ou « les Américains, race entreprenante et dynamique », jusque dans les conversations entre bons amis d'origines différentes, sans la moindre intention négative dans l'usage du mot.


Race et parenté

Les structures de parenté, donc les questions de race, sont toujours fondamentales et fondatrices dans la représentation que les peuples antiques ou primitifs ont d'eux-mêmes et des autres peuples. Tout le système d'obligation et de solidarité sociale des sociétés antiques ou primitives est basé sur l'appartenance au groupe familial, et à la plus ou moins grande proximité de parenté: l'affiliation (phylai). 

On note que celle-ci n'est pas nécessairement biologique, mais peut être la fiction résultant d'une adhésion ou d'une adoption, et d'apparentements de convenance. À côté de la société grecque avec son genè et ses phratries, on trouve des structures politiques claniques chez d'autres peuples comme les Celtes avec les notions de peuples apparentés/alliés. Cette conception dure pendant tout le Moyen Âge et une partie des Temps modernes.

La mythologie et les prescriptions religieuses fixent les règles d'exogamie qui favorisent les alliances hors du groupe consanguin, tout en interdisant celles avec les membres des peuples étrangers. De ce fait, depuis la plus haute Antiquité, jusqu'à ces derniers siècles, les peuples du Monde restent extrêmement endogames, qu'ils soient sédentaires et sans contacts avec des étrangers, ou qu'ils soient au contraire nomades au milieu des peuples étrangers. Dans ce dernier cas, l'identité du groupe est maintenue par des prescriptions sociales ou religieuses interdisant une trop grande proximité de vie et des alliances étrangères qui finiraient par provoquer son assimilation.

C'est pourquoi, plus on s'éloigne dans l'histoire, plus on remarque que les peuples qui sont traditionnellement des migrants ou créent une colonie, continuent à se marier dans la moitié du génome dont ils se sont détachés, et non dans le peuple au milieu duquel ils vivent. Il faut remarquer qu'à ces époques, ces règles concernent l'immigration qui ne se fait pas individuellement, mais comme pour les colonies phéniciennes, grecques ou carthaginoises, par groupes complets capables de recréer ailleurs une nouvelle société identique et fermée.

Les questions de guerre et de paix entre les tribus ou les peuples débutent par des refus ou des ruptures d'alliances matrimoniales, et se terminent par des alliances, ou des enchaînements d'alliances, entre les lignages des chefs, et à partir de là la possibilité de relation et d'alliance entre toutes les autres familles. Il importe de préciser que ces prescriptions s'imposent aux groupes, mais pas à des individus isolés ou à des familles désaffiliées.


Bible

Le récit biblique fait recommencer l'histoire de l'Humanité après le déluge, avec les trois fils de NoéSemCham, et Japhet, dont descendent les trois lignées qui peuplent les rives de la Méditerranée. La Table des peuples de la Genèse donne, avec la descendance de ces trois frères, l'origine généalogique de tous les peuples de la Terre qui sont présentés à la fois comme des peuples généalogiquement distincts, et en même temps apparentés. Ce dernier trait, qui rappelle l'unicité du règne humain, le monogénisme, est une originalité qu'on ne trouve pas chez beaucoup de peuples primitifs qui se réservent l'appellation d'homme, rejetant les autres dans le monde animal.

Une interprétation de la malédiction de Canaan dans le Livre de la Genèse et de la « Table des peuples » qui en dérive, peut être à l'origine d'idéologies racistes dans cette région du monde ou pour les croyants s'inspirant de la Bible.

La destruction du temple de Jérusalem par Titus fils de l´empereur Vespasien s'accompagne d'une destruction des généalogies, qui sera pour le peuple Juif la cause de sa dispersion et d'un grand désarroi quant à son identité. Ce genre de représentation généalogique totalisante des différents groupes ethniques connus se retrouve souvent dans les descriptions ethnologiques des peuples primitifs.


Antiquité gréco-romaine

La conception selon laquelle l'utilisation de la notion de racisme dans l’Antiquité est un anachronisme, est remise en question par les travaux de l'historien Benjamin Isaac qui propose la notion de « proto-racisme » traversant l'Antiquité grecque puis romaine, notion qui relève déjà d'un « racisme conceptualisé, fondé sur une argumentation d’allure scientifique qui se veut démonstrative ». La pensée proto-raciste, qui évoluera évidemment au fil des siècles et des déplacements de centres d'influence et de pouvoir, se fonde, selon l'historien, sur deux théories qui ne seront que peu remises en question : d'une part, suivant le traité Des airs, des eaux, des lieux datant du ve siècle av. J.-C. et attribué à Hippocrate, un classement déterministe des groupes humains basé sur la géographique qui définirait « des traits de caractère collectifs immuables », dans une conception qui induit rapidement une hiérarchisation des peuples.

 

Maurice Sartre nuance toutefois le propos, expliquant qu'il existe des conceptions divergentes, voire opposées, à cette représentation, citant notamment l'explorateur et historien antique Hérodote ou encore le géographe Strabon qui « montre avec une force tout aussi convaincante les limites de la théorie environnementaliste » dont il ne fait pas usage dans la description qu'il fait des peuples et de leurs mœurs.

Le philosophe Christian Delacampagne perçoit, quant à lui, dans l’attitude païenne – égyptienne, grecque puis romaine – face aux juifs et dans la partition entre hommes libres d’un côté, femmes, enfants et esclaves de l’autre, des « classifications biologiques », de « type raciste ».

Il convient néanmoins de noter que si les arguments de type raciste ont pu servir à justifier la domination des Grecs et des Romains, ils n'ont jamais débouché sur des politiques d'exclusion ni – a fortiori – d'extermination. Au contraire, la capacité d'intégration, d'assimilation voire promotion des étrangers dans l'Empire gréco-romain – dans un relatif respect de leur culture et de leurs traditions – est bien connue des historiens.

Néanmoins, on peut voir un lien entre le proto-racisme antique et les théories racistes contemporaines dans une commune « négation des évidences au profit de théories préconçues dont peu importe le bien-fondé scientifique pourvu qu’elles justifient la situation dominante et le statut privilégié d’un groupe ».


Moyen Âge

C’est surtout le Moyen Âge qui donne des arguments aux partisans de l’existence d’un racisme antérieur à la modernité. Pour l’historien spécialiste de l'antisémitisme Gavin I. Langmuir, l'une de ses manifestations serait la cristallisation de l’antijudaïsme des premiers théologiens chrétiens en un antisémitisme chrétien dès le XIIIe siècle. D’autres en voient les premières manifestations dès la fin du XIe siècle et les premiers pogroms qui jalonnent la première croisade populaire menée par Pierre l'Ermite.

Au XIIIe siècle, la crise rencontrée par l’Église catholique, menacée par les hérésies catharesalbigeoisesvaudoises aboutit à une rigidification de sa doctrine qui se manifeste notamment par la création de l'Inquisition dans les années 1230 et par ce que Delacampagne désigne comme la « démonisation » des « infidèles ».

Selon Delacampagne, l’idée que la conversion absout le Juif s’efface alors devant la croyance que la judéité est une condition héréditaire et intangible. Ce mouvement n’épargne d’ailleurs pas d’autres catégories de la population. Sa manifestation la plus probante est la mise en place progressive à partir de 1449 d’un système de certificat de pureté de sang (limpieza de sangre) dans la péninsule Ibérique pour accéder à certaines corporations ou être admis dans les universités ou les ordres. Ce mouvement, qui se traduit par le décret de l'Alhambra de 1492, concerne quatre groupes précis : les Juifs, les musulmans convertis (morisques), les pénitenciés de l’Inquisition et les cagots, c’est-à-dire les descendants présumés de lépreux.

Delacampagne mentionne la ségrégation qui touche cette dernière catégorie de population comme une étape majeure dans la constitution du racisme moderne. Selon lui, c'est la première fois que la discrimination d’un groupe social reçoit au xive siècle une justification appuyée sur les conclusions de la science. Les chirurgiens, tel Ambroise Paré, apportent en effet leur caution à l’idée que les cagots, descendants présumés de lépreux, continuent de porter la lèpre bien qu’ils n’en manifestent pas les signes extérieurs.


Dans les sociétés non européennes

Esclaves européens menés au fouet par un Arabe (1815). L'esclavagisme musulman a été souvent bien moins évoqué que celui de l'Occident, poussant certains auteurs à parler de « tabou bien gardé ».

Plusieurs études ont mis en avant l’existence d’attitudes que leurs auteurs considèrent comme racistes dans des sociétés extérieures à l’aire culturelle européenne. Au Japon, la transmission héréditaire de l’appartenance à la caste des burakumins jusqu’au début de l'ère Meiji a pu être analysée comme le produit d’une construction symbolique de type raciste.

Les travaux menés par l’historien Bernard Lewis sur les représentations développées par la civilisation musulmane à l’égard des autres êtres humains concluent sur l’existence d’un système perceptif qu’il qualifie de raciste, notamment à l’égard des populations noires.

Au Moyen Âge, le racisme des Arabes à l'égard des Noirs, en particulier des Noirs non musulmans, fondé sur le mythe de la malédiction de Cham, le père de Canaan, prononcée par Noé, servit de prétexte à la traite négrière et à l'esclavage, qui, selon eux, s'appliquait aux Noirs, descendants de Cham qui avait vu Noé nu lors de son ivresse (une autre interprétation les rattache à Koush). (Histoire extraite de la Bible). Les Noirs étaient donc considérés comme « inférieurs » et « voués » à l'esclavage. Plusieurs auteurs arabes les comparaient à des animaux.

Le poète al-Mutanabbi méprisait le gouverneur égyptien Abu al-Misk Kafur au Xe siècle à cause de la couleur de sa peau. Le mot arabe aabd عبد (pl. aabid عبيد) qui signifiait esclave est devenu à partir du VIIIe siècle plus ou moins synonyme de « Noir », prenant une signification similaire au terme "nègre" dans la langue française du XXe siècle. Quant au mot arabe zanj, il désignait de façon péjorative les Noirs, avec une connotation raciale officielle que l'on retrouve dans les textes et discours racialistes. Ces jugements racistes étaient récurrents dans les œuvres des historiens et des géographes arabes : ainsi, Ibn Khaldoun a pu écrire au XIVe siècle : « Les seuls peuples à accepter vraiment l'esclavage sans espoir de retour sont les nègres, en raison d'un degré inférieur d'humanité, leur place étant plus proche du stade de l'animal ». À la même période, le lettré égyptien Al-Abshibi écrivait : « Quand il [le Noir] a faim, il vole et lorsqu'il est rassasié, il fornique ». Les Arabes présents sur la côte orientale de l'Afrique utilisaient le mot « cafre » pour désigner les Noirs de l'intérieur et du Sud. Ce mot vient de kāfir qui signifie « infidèle » ou « mécréant ».

Racisme moderne

Les différents auteurs qui conçoivent le racisme comme une spécificité de la modernité européenne s’accordent pour mettre en avant la conjugaison de trois facteurs dans la genèse de cette nouvelle attitude :

  • Le développement de la science moderne. Il inaugure un système de perception essentialiste de l’altérité et un système de justification des conduites racistes qui s'appuient sur des théories à prétention scientifique de la race.
  • Le développement de la libre-pensée antichrétienne qui s'oppose au monogénisme que soutient l'Église catholique.
  • L’expansion européenne qui débute au XVe siècle. Elle entraîne la mise en place d’un système économique et social esclavagiste, et de traites négrières à destination des colonies ; parallèlement, elle s'accompagne du développement d’une attitude coloniale à l’égard des populations non européennes qui pénètre progressivement la métropole.


Biologisation du social

Pour Colette Guillaumin le racisme est contemporain de la naissance d’un nouveau regard porté sur l’altérité ; il est constitué par le développement de la science moderne et la substitution d’une causalité interne, typique de la modernité, à une définition externe de l’homme qui prévalait avant la période moderne.

Alors que l’unité de l’humanité trouvait auparavant son principe à l’extérieur de l’homme, dans son rapport à Dieu, l’homme ne se réfère désormais qu’à lui-même pour se déterminer. Comme en attestent les débats théologiques sur l’âme des Indiens ou des femmes, le rejet de la différence et les hiérarchies sociales s’appuyaient sur une justification religieuse ou basée sur un ordre sacré (caste) ; ils se parent désormais des habits de la justification biologique, renvoyant à l’ordre de la nature. La conception de cette Nature elle-même connaît une mutation profonde : elle devient mesurable, quantifiable, réductible à des lois accessibles à la raison humaine.

Ce changement de regard engendre un système perceptif essentialiste : l’hétérogénéité au sein de l’espèce humaine ne doit son existence qu’à une différence logée dans le corps de l’homme, que les scientifiques européens s’acharneront à mettre en évidence tout au long du XIXe siècle et au cours de la première moitié du XXe siècle. Pour Pierre-Henri Boulle, on peut percevoir en France dès la fin du XVIIe siècle les premières expressions de ce mode de perception. C’est au XVIIIe siècle qu’il se répand parmi les élites politiques, administratives et scientifiques, avant de se généraliser au plus grand nombre dans le courant du XIXe siècle.

Pour Colette Guillaumin, ce mode de perception se généralise au tournant des XVIIIe siècle et XIXe siècle. Dans la première partie de son ouvrage Les origines du totalitarisme, Hannah Arendt date l’apparition de l’antisémitisme, qu’elle différencie de l’antijudaïsme, du début du XIXe siècle ; c’est aussi la date d’origine qu’assigne le philosophe Gilbert Varet aux « phénomènes racistes expressément dits ».

La propagation hors de l’Europe apparaît dans cette optique comme un produit de l’influence européenne : André Béteille développe ainsi la thèse d’une « racialisation » du système de castes en Inde après la colonisation britannique. Au Japon, des travaux menés par John Price, Georges De Vos, Hiroshi Wagatsuma ou Ian Neary au sujet des Burakumin parviennent à des conclusions identiques.


Colonisation et esclavage


Enseigne parisienne en 1890


La question de l’antériorité ou de la postérité du racisme au développement de l’esclavage dans les colonies européennes fait l’objet de nombreux débats. Le consensus s’établit néanmoins au sujet du rôle joué par le développement de l’esclavage sur le durcissement et la diffusion de l’attitude raciale. L'esclavage colonial se développe en effet, paradoxalement, à une époque où, en Europe, l'humanisme, la philosophie des Lumières (philosophie) et la théorie du droit naturel devraient logiquement mener à sa condamnation. Le racisme pourrait être le produit (conscient ou non) de cette contradiction, le seul artifice permettant de refuser à certaines populations le bénéfice de droits fondamentaux reconnus à l'Homme en général consistant à croire à l'existence d'une hiérarchie entre les races.

Selon l’historien américain Isaac Saney, « les documents historiques attestent de l'absence générale de préjugés raciaux universalisés et de notions de supériorité et d'infériorité raciales avant l'apparition du commerce transatlantique des esclaves. Si les notions d'altérité et de supériorité existaient, elles ne prenaient pas appui sur une vision du monde racialisée ».

Développement de l’esclavage et de la science moderne ont étroitement interagi dans la construction du racisme moderne. La catégorie de « nosopolitique » qualifie chez la philosophe Elsa Dorlin l’usage des catégories de « sain » et de « malsain » par le discours médical appliqué dans un premier temps aux femmes, puis aux esclaves. Alors que le Blanc, considéré comme « naturellement » supérieur par les médecins, est défini comme l’étalon de la santé, le tempérament des Noirs est par contraste déclaré « pathologique » ; il est porteur de maladies spécifiques, que seule la soumission au régime de travail imposé par les colons peut atténuer, mais difficilement guérir, tant elles paraissent intrinsèquement liées à sa nature.


Racisme scientifique


 Le « racisme scientifique », ou « racialisme » (ou « raciologie »), classifie les êtres humains d'après leurs différences morphologiques en application d'une méthode héritée de la zoologie.

Les théoriciens du racialisme comptent des personnes telles que l'anthropologue allemand Johann Friedrich Blumenbach, le français Georges Vacher de Lapouge, partisan de l'eugénisme, l'écrivain français Joseph Arthur de Gobineau,célèbre pour son Essai sur l'inégalité des races humaines, paru en 1853, le Britannique de langue allemande Houston Stewart Chamberlain, dont l'œuvre théorise le rôle historique de la race aryenne comme ferment des classes dirigeantes indo-européennes et le français d'origine suisse George Montandon, auteur d'une taxonomie des races dans son ouvrage La race, les races. Mise au point d'ethnologie somatique, paru en 1933.


Idéologie

 En Europe et aux États-Unis, le paradigme racial s’est étroitement articulé à partir du XIXe siècle, à l’extérieur avec la politique impérialiste et, sur le plan intérieur, avec la gestion politique des populations minoritaires. Pour Hannah Arendt, « la pensée raciale » est ainsi devenue une idéologie avec l’ère de l’impérialisme débutant à la fin du XIXe siècle. L’idéologie raciste devient alors un « projet politique » qui « engendre et reproduit des structures de domination fondées sur des catégories essentialistes de la race ». Le racisme, explique-t-elle, est d'abord la transformation des peuples en races, la diversité humaine n'étant plus expliquée par les influences culturelles acquises par chacun après son arrivée dans le monde, mais au contraire par l'origine.

À l’image de la diversité des positions racistes dans le monde académique, les formes de racisme et donc les usages politiques de la race ont fortement varié selon les contextes nationaux et la position occupée par leurs promoteurs dans l’espace politique.


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