Antisémitisme

ANTISEMITISME



L’antisémitisme est la discrimination et l'hostilité manifestées à l'encontre des Juifs en tant que groupe ethnique, religieux ou supposément racial.

Étymologiquement, ce terme pourrait s'appliquer aux peuples sémites parlant l’une des langues sémitiques (comme l'arabe ou l'amharique) mais il désigne, dès sa formulation vers la fin du XIX siècle, une forme de racisme à prétentions scientifiques et visant spécifiquement les Juifs.

Les motifs et mises en pratique de l'antisémitisme incluent divers préjugés, des allégations, des mesures discriminatoires ou d’exclusion socio-économique, des expulsions, des massacres d’individus ou de communautés entières.

Étymologie

Le mot « antisémitisme » est construit à l'aide du préfixe anti- voulant dire

« contre » et marquant l'opposition ; de Sem qui désigne l'un des fils de Noé dans la Genèse, et l'ancêtre des peuples sémitiques ; du suffixe -isme servant à former des substantifs correspondant à un comportement ou une idéologie.


Origine

Le terme « antisémitisme » et ses dérivés apparaissent en Allemagne à la fin du xixe siècle bien que les faits qu’ils décrivent soient plus anciens.

Pour l'historien Alex Bein, le terme fut utilisé pour la première fois (dans un seul article et de façon isolée), en 1860 par l'intellectuel juif autrichien Moritz Steinschneider dans l'expression « préjugés antisémites » (« antisemitische Vorurteile »), afin de railler les idées d'Ernest Renan qui affuble les « peuples sémites » de tares culturelles et spirituelles (la désignation des peuples du Levant sous ce terme remontait à 1781). Cette utilisation isolée n'eut aucune postérité.

Le spécialiste du négationnisme Gilles Karmasyn rappelle que c'est le journaliste allemand Wilhelm Marr qui invente véritablement le terme « Antisemitismus » dans le sens « d'hostilité aux Juifs », à l'occasion de la fondation d'une « ligue antisémite » en 1879 et non, comme il est parfois rapporté, dans son pamphlet anti-juif Victoire du judaïsme sur la germanité considérée d'un point de vue non confessionnel, publié la même année mais où l'expression n'apparaît pas.


Definition

Après avoir traduit l'hostilité basée sur la religion puis sur la « théorie des races », le terme « antisémitisme » désigne toute manifestation de haine, d'hostilité ou la discrimination à l'égard des Juifs ou assimilés.


Histoire

La traduction française d’antisemitismus par « antisémitisme » apparaît, selon le dictionnaire Le Robert, en 1886, suivi de l’épithète antisémite trois ans plus tard. Toutefois Karmasyn a mis au jour les traductions « antisémitique » et « antisémite » dans le journal Le Globe dès novembre 1879. L'historien Jules Isaac précise que le terme « antisémitisme » est par lui-même équivoque, alors que « son contenu […] est essentiellement anti-juif ». W. Marr utilise en effet le mot « Semitismus » comme synonyme de « Judentum », lequel désigne indifféremment le judaïsme, la communauté juive et la judaïté.

Le mot « antisémitisme » abandonne donc la signification spécifiquement religieuse de l'hostilité anti-juive pour se prêter au concept de « race juive » par lequel on a commencé par désigner des Juifs baptisés, justifiant la poursuite des discriminations à leur égard alors qu’ils ont apostasié. Des théories pseudo-scientifiques sur la conception de « race » se sont répandues en Europe dans la seconde moitié du xixe siècle, particulièrement chez l'historien prussien Heinrich von Treitschke, dont les idées seront reprises dans les théories nazies.


Confusions

Le terme « antisémitisme » peut paraître équivoque ou même « complètement inapproprié », soit parce qu'il vise les autres populations de langue sémitique dont les Arabes, soit parce que les Juifs d'aujourd'hui ne seraient plus que très partiellement sémite, soit pour noyer le fait en contestant le mot.

Ces discussions n'empêchent nullement que le terme « antisémitisme » a été forgé pour désigner l'hostilité revendiquée contre les Juifs et leur culture, nullement contre d'autres locuteurs de langues sémitiques, et qu'il est toujours employé dans ce sens. C'est ainsi qu'on parle d'« antisémitisme arabe » pour désigner l'hostilité des Arabes envers les Juifs.



De nos jours

Graffiti à MadridEspagne, 2003.


De nos jours, l'affaissement de la dimension proprement et ouvertement raciste de l'hostilité envers les juifs permet de penser que l'antisémitisme englobe une notion plus large que la conception raciale originelle du xixe siècle et du début du xxe siècle. C'est qu'il a en réalité existé sous des formes qui ne s'appuient parfois ni sur des conceptions raciales, ni sur des fondements religieux, ce qui rend le concept difficile à définir de manière précise.

Le philosophe et politologue Pierre-André Taguieff préfère le terme de « judéophobie » pour désigner l'ensemble des formes anti-juives dans le monde depuis la Seconde Guerre mondiale et le distinguer de l'antisémitisme lié aux thèses racialistes. D'autres préfèrent parler de « nouvel antisémitisme » pour qualifier les idéologies plus récentes qui s'appuieraient sur la dénonciation d'un « supposé lobby juif ou du sionisme pour masquer leur antisémitisme ».

Le négationnisme et la compétition des victimes s'ajoutent à l'antisionisme pour définir les trois axes du nouvel antisémitisme, selon Bernard-Henri Lévy.

Nicole Gnesotto, titulaire de la chaire « Union européenne » au Conservatoire national des arts et métiers, propose de distinguer trois sources de l'antisémitisme contemporain en France :

«L’antisémitisme historique d’abord, fondé sur les stéréotypes liés à l’argent […]. Il a toujours existé et on pourrait qualifier cet antisémitisme de populaire. Il y en a un deuxième, plus politique, dont parle Nonna Mayer, lié aux évènements du Moyen-Orient et à la politique d’Israël, celui-là est plutôt repris par ce qu’on appelle l’islamo-gauchisme (la défense des musulmans contre la politique d’Israël). Il y en a enfin un troisième, un antisémitisme identitaire, fondé sur l’illusion d’une pureté de la nation. Celui-là appartient plutôt à l’extrême-droite, c’est celui qui s’est manifesté contre Alain Finkielkraut quand on a entendu des choses comme “on est chez nous ici, rentre chez toi”. »


Définition du Parlement européen en 2017


Le 1er juin 2017, le Parlement européen adopte une définition de l'antisémitisme, accompagnée d'exemples, qu'il demande à tous les États membres de l'Union européenne de partager :

« L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte. »

Si l'antisionisme n'est pas explicitement mentionné dans cette définition de l'antisémitisme, elle inclut dans ses exemples « Refuser au peuple juif son droit à l'autodétermination par exemple en affirmant que l'existence d'un État d'Israël est une entreprise raciste ».

Au 5 décembre 2019, vingt pays dont seize de l'Union européenne et la France ont adopté cette résolution.

Principes de l'antisémitisme

L’historienne américaine Barbara Tuchmanprix Pulitzer, identifie trois « principes » à la source de l’antisémitisme :

1.   « Il est vain d’espérer de la logique – c’est-à-dire l’expression raisonnée d’un esprit éclairé », dès qu’il s’agit d’antisémitisme ;

2.   L’apaisement est futile : « Ici, la règle du comportement humain est que céder aux exigences de l’ennemi ne suffit pas. Au contraire, adopter une position de faiblesse augmente encore le ressentiment. Au lieu de faire disparaître l’hostilité, la soumission la stimule » ;

3.   « L’antisémitisme est indépendant de son objet. Ce que les Juifs font ou omettent de faire n’est pas un facteur déterminant. L’impulsion provient des besoins des persécuteurs et d’un climat politique spécifique ».

 

« Ici sur terre, tous les peuples se détestent les uns les autres et ensemble, ils détestent les Juifs. » - Mark Twain

 

Formes d'antisémitisme


 

Aquarelle du XVIe siècle représentant un Juif de Worms portant la rouelle. Il est également accompagné d'une bourse d'or, motif illustrant la cupidité attribuée aux Israélites.

Même si, dans sa définition primitive et la plus stricte, le mot « antisémitisme » prend une tournure raciale et laïque, il est désormais utilisé pour qualifier tous les actes anti-juifs qui ont pu avoir lieu dans l'Histoire, quel qu'en soit le motif, ainsi que pour désigner les actes hostiles aux Juifs avant l'invention du terme antisémitisme.

On peut donc en distinguer plusieurs formes distinctes qui évoluèrent dans leur conception au cours de l'Histoire, qui ne sont d'ailleurs pas forcément complémentaires et ne s'appuient pas toujours sur les mêmes fondements. L'antisémitisme, dans son acception globale, n'est donc pas nécessairement une idéologie racialiste (qui ne se développe d'ailleurs que tardivement à partir du XIXe siècle) et, par conséquent, n'est pas toujours une forme de racisme.

René König mentionne l'existence d'antisémitismes sociaux, économiques, religieux ou politiques. Il avance que les formes diverses qu'a pris l'antisémitisme démontrent que « les origines des différents préjugés antisémites sont ancrés dans différentes périodes de l'Histoire ». Pour lui, les divers aspects des préjugés antisémites au cours des époques et leur distribution variable au sein des classes sociales « rend particulièrement difficile la définition des formes de l'antisémitisme ».

L'historien Edward Flannery distingue, lui aussi, plusieurs variétés d'antisémitisme :

·       « l'antisémitisme économique et politique », donnant comme exemples Cicéron ou Charles Lindbergh ;

·       « l'antisémitisme religieux » ou antijudaïsme ;

·       « l'antisémitisme nationaliste », citant Voltaire et d'autres penseurs des Lumières qui attaquèrent les Juifs sur leurs supposées arrogance et avarice ;

·       « l'antisémitisme racial », exprimé par le nazisme.

Enfin le documentariste Louis Harap distingue, quant à lui, l'antisémitisme « économique » de l'antisémitisme « politique », et fusionne ce dernier avec l'antisémitisme « nationaliste » au sein d'un « antisémitisme idéologique. » Il ajoute également un antisémitisme social, avec les propositions suivantes :

·       religieux : « les Juifs sont les assassins du Christ » (peuple déicide) ;

·       économique : « les Juifs sont des banquiers et des usuriers obsédés par l'argent » ;

·       social : « les Juifs sont socialement inférieurs » et doivent être tenus à l'écart du reste de la société dans des ghettos et porter un signe permettant de les distinguer des chrétiens, comme la rouelle et le Judenhut au Moyen Âge, ou l'étoile jaune sous le régime nazi ;

·       racial : « les Juifs sont une race inférieure » ;

·       idéologique : « les Juifs sont des révolutionnaires complotant pour renverser le pouvoir en place » (théorie du complot juifjudéo-maçonneriejudéo-bolchevisme) ;

·       culturel : « les Juifs corrompent la morale et la civilisation du pays dans lequel ils vivent par leur culture ».

 

Antisémitisme culturel

Louis Harap définit l'antisémitisme culturel comme une « forme d'antisémitisme qui accuse les Juifs de corrompre une culture donnée et de vouloir supplanter ou de parvenir à supplanter cette culture ».

Pour Eric Kandel l'antisémitisme culturel se fonde sur l'idée d'une « judéité » vue comme « une tradition religieuse ou culturelle qui s'acquièrent par l'apprentissage, à travers des traditions et une éducation distinctives ». Cette forme d'antisémitisme considère que les Juifs possèdent des « caractéristiques psychologiques et sociales néfastes qui s'acquièrent par l'acculturation ».

Enfin, Donald Niewyk et Francis Nicosia décrivent l'antisémitisme culturel comme une idée se focalisant sur la supposée « attitude hautaine des Juifs au sein des sociétés dans lesquelles ils vivent ». 

 

Antisémitisme culturel

Louis Harap définit l'antisémitisme culturel comme une « forme d'antisémitisme qui accuse les Juifs de corrompre une culture donnée et de vouloir supplanter ou de parvenir à supplanter cette culture ».

Pour Eric Kandel l'antisémitisme culturel se fonde sur l'idée d'une « judéité » vue comme « une tradition religieuse ou culturelle qui s'acquièrent par l'apprentissage, à travers des traditions et une éducation distinctives ». Cette forme d'antisémitisme considère que les Juifs possèdent des « caractéristiques psychologiques et sociales néfastes qui s'acquièrent par l'acculturation ».

Enfin, Donald Niewyk et Francis Nicosia décrivent l'antisémitisme culturel comme une idée se focalisant sur la supposée « attitude hautaine des Juifs au sein des sociétés dans lesquelles ils vivent ».


Antisémitisme religieux


 Tract distribué à Kiev avant le procès de Mendel Beilis, accusé de « meurtre rituel », recommandant aux parents chrétiens de veiller sur leurs enfants durant la Pâque juive.


L'antisémitisme religieux (ou antijudaïsme) se définit comme l'opposition aux croyances juives et au judaïsme. Il n'attaque donc pas les Juifs en tant que peuple ou ethnie, et prône même parfois leur conversion. Cependant les persécutions peuvent persister pour ces Nouveaux Chrétiens, suspectés de rester secrètement fidèles à leur religion ou à leurs traditions, comme ce fut le cas envers les marranes, des Juifs espagnols et portugais convertis au catholicisme à partir du XVe siècle.

Les Juifs ont été également accusés de crimes rituels, souvent au travers de légendes d'enlèvement d'enfants pour des sacrifices. Il s'agit de l'une des allégations antisémites les plus anciennes de l'Histoire : de la légende du meurtre d'Anderl von Rinn en 1492 jusqu'à l'affaire Beilis en 1911. Selon l'historien Walter Laqueur, il y aurait eu plus de 150 accusations et probablement des milliers de rumeurs de ce type dans l'Histoire.

L'antijudaïsme en Europe provenait souvent d'une méconnaissance des traditions de la religion juive, lesquelles étaient perçues comme étranges et parfois maléfiques. Par exemple le mot sabbat, employé pour parler d'une réunion nocturne de sorcières, provient de l'hébreu shabbat, terme désignant le jour de repos hebdomadaire sacré des Juifs (l'équivalent du dimanche pour les chrétiens).

Expulsion des Juifs de Séville, Joaquín Turina y Areal , v. 1850.

En 1391, les royaumes espagnols furent le théâtre des « baptêmes sanglants » qui virent de nombreuses conversions forcées de Juifs sous la pression de pogroms populaires. En 1492, les rois catholiques, par le décret de l'Alhambra, expulsèrent tous les Juifs d'Espagne, mesure à l'origine de la Diaspora séfarade. Seuls restèrent les convertis ou ceux qui acceptèrent de le devenir. Mais le bruit se répandit que les juifs convertis continuaient à pratiquer leur religion en secret.

Aussi, plusieurs professions furent-elles interdites aux nouveaux chrétiens.


Et cela bien que beaucoup de ces nouveaux chrétiens, instruits dans la religion catholique depuis plusieurs générations aient été sincères. Si bien que, dans les familles ibériques, l’usage vint de demander des « certificats de pureté de sang » avant de contracter mariage, ou pour exercer telle ou telle profession. Nombre d'entre eux s’efforcèrent de fuir les territoires hispano-portugais et, une fois relativement en sécurité en France, en Turquie, au Maroc, aux Pays-Bas ou en Angleterre à partir de Cromwell, ils y redécouvrirent la religion de leurs ancêtres. Ce fut le phénomène du marranisme, porteur d'une mémoire secrète, 

souterraine, cachée, malgré la disparition des synagogues, des textes, et l'impossibilité de suivre les rites. Les marranes, accusés de « judaïser en secret » gardèrent, pour certains d'entre eux, la mémoire de leurs origines, avant d'y revenir parfois, c'est-à-dire lorsque la situation le leur permettait. Nombre de descendants de marranes, ces chrétiens convertis de force, ont essaimé en Europe, avec des destins divers, et jusqu'en Amérique, ou même en Asie, où l'Inquisition continua à les poursuivre longtemps après leur départ du Vieux Continent, pour tenter de faire disparaître le judaïsme.


 

Antisémitisme économique

L'antisémitisme économique est caractérisé par l'idée que les Juifs produiraient des activités économiques nuisibles à la société, ou bien que l'économie deviendrait nuisible lorsqu'elle est pratiquée par ceux-ci.

Commissaire du peuple juif volant son pays, sans égard pour le soldat estropié et médaillé. Inscription : « Tout est à nous ! ». Dessin paru en HongrieMi. Manno, 1919.

Les allégations antisémites lient souvent les juifs à l'argent et à l'avidité, les accusant d'être cupides, de s'enrichir aux dépens des non-juifs ou de contrôler le monde des finances et des affaires. Ces théories furent développées entre autres dans Les Protocoles des Sages de Sion, un faux prétendant attester le projet de conquête du monde par les Juifs, ou dans le Dearborn Independent , un journal publié au début du XXe siècle par Henry Ford.

Remplaçant peu à peu l'antijudaïsme, cet antisémitisme prend son essor, comme l'antisémitisme racial, au cours du XIXe siècle, parallèlement au développement du capitalisme industriel dans le monde occidental. Il est incarné en France par Édouard Drumont dans son ouvrage La France juive.


L'historien Derek Penslar  explique que ces allégations s'appuient sur les imputations suivantes :

·       les juifs « sont naturellement incapables d'exercer un travail honnête ».

·       les juifs « dominent une cabale financière cherchant à assujettir le monde ».

Penslar avance également l'idée que l'antisémitisme économique se distingue aujourd'hui de l'antisémitisme religieux, qui est lui « souvent feutré », alors qu'ils étaient liés jusqu'à maintenant, le second expliquant le premier.

Abraham Foxman  relève quant à lui six a priori communs à ces accusations :

·       « tous les juifs sont riches »

·       « les juifs sont avares et cupides »

·       « des juifs puissants contrôlent le monde des affaires »

·       « la religion juive prône le profit et le matérialisme »

·       « les juifs n'hésitent pas à berner les goys »

·       « les juifs utilisent leur pouvoir au service de leur communauté »

Finalement, le mythe du Juif et de l'argent est résumé par l'assertion suivante de Gerald Krefetz  : « [les juifs] contrôlent les banques, la réserve monétaire, l'économie et les affaires — de la communauté, du pays, du monde ».

La critique de cet antisémitisme a vu le jour en France au XVIIIe siècle et a mené sous la Révolution aux décrets d'émancipation de 1790 et 1791. Le 23 décembre 1789 à l'Assemblée constituanteMaximilien de Robespierre explique la situation en ces termes :

« On vous a dit sur les Juifs des choses infiniment exagérées et souvent contraires à l’histoire… Ce sont au contraire des crimes nationaux que nous devons expier, en leur rendant les droits imprescriptibles de l’homme dont aucune puissance humaine ne pouvait les dépouiller. On leur impute encore des vices, des préjugés, l’esprit de secte et d’intérêt les exagèrent. Mais à qui pouvons-nous les imputer si ce n’est à nos propres injustices ? Après les avoir exclus de tous les honneurs, même des droits à l’estime publique, nous ne leur avons laissé que les objets de spéculation lucrative. Rendons-les au bonheur, à la patrie, à la vertu, en leur rendant la dignité d’hommes et de citoyens… ».

Robespierre faisait allusion aux mesures discriminatoires prises au Moyen Âge contre les Juifs, qui les confinaient aux professions commerçantes.

En 2019, le site Lemonde.fr publie un article dans sa rubrique Les décodeurs, pour rappeler que contrairement aux allégations complotistes qui pullulent à ce sujet, le système bancaire mondial n'est pas entre les mains de la banque Rothschild, c'est-à-dire des Juifs.


Antisémitisme historiographique

Selon l’historien Tal Bruttmann, le regain d’antisémitisme observé en France remonte au « début des années 2000 », au moment où « les gens se sont retrouvés dans le monde virtuel », avec comme principaux « vecteurs de l’antisémitisme » les polémistes Dieudonné et Alain Soral. Des tensions se manifestent par ailleurs peu après sur la scène politique mais aussi historiographique, avec diverses polémiques se croisant sur plusieurs lois mémorielles.

Une théorie du « complot juif », qui aurait « inventé, organisé, profité massivement de l’esclavage » apparaît en Europe et « s’implantera en France » tout particulièrement, « propagée par des extrémistes tels qu’Alain Soral ou l’ancien saltimbanque Dieudonné ».

Dieudonné et Soral s'inspirent de The Secret Relationship Between Blacks and Jews, publié par l"organisation Nation of Islam qui, en 1991, a allégué que les Juifs auraient dominé la traite atlantique. Ces théories furent réfutées par l'Association historique américaine (AHA) dès 1995, année où elles échouent à s'implanter en France, malgré la propagande.

Selon cet « antisémitisme avéré », dénoncé par presse, historiens et intellectuels, les Juifs auraient implanté en 1654 ou 1655 l’industrie sucrière aux Antilles. Mais 20 ans auparavant, la Compagnie des îles d'Amérique avait signé en 1635 un contrat pour démarrer la production de sucre avec un marchand rouennais, lui donnant en 1639 le monopole du sucre en Martinique.

En Guadeloupe, la compagnie lui avait également accordé des exemptions fiscales et autres avantages logistiques et financiers. En 1642, un édit royal du 8 mars établit que 7 000 personnes blanches avaient déjà migré aux îles françaises depuis 1635 au bénéfice de la Compagnie des îles d'Amérique, autorisées à importer cette fois des esclaves noirs. À Saint-Christophe, la plantation de canne à sucre du gouverneur dispose dès 1646 de plus de 100 esclaves noirs et 200 « serviteurs », c'est-à-dire des engagés blancs. Le missionnaire carme Maurile de Saint-Michel l'a visitée en 1646, écrivant à son retour que le sucre est déjà « la première marchandise de nos îles » et vers 1650, elle emploie cette fois 300 esclaves et 100 engagés blancs.

L'interprétation de The Secret Relationship déforme le récit de Jean-Baptiste Du Tertre, publié en 1667, qui ne dénombre que sept à huit Juifs du Brésil arrivés en Martinique, en 1654, sans préciser leurs noms où s’ils possédaient des esclaves. Le recensement de 1664, beaucoup plus fiable, dénombre en Martinique 22 Juifs, détenant 5 serviteurs blancs et en tout 20 esclaves. Du Tertre reprenait le texte d'un autre dominicainordre religieux pratiquant l'esclavage et tentant de récupérer ses concessions aux Antilles, où les carmes et jésuites lui ont été préférés en 1650. Les deux auteurs ont publié plus d'une décennie après les faits allégués et vivaient en 1654 en France. Des Hollandais ont obtenu des concessions en Guadeloupe, mais bien après 1654 et ils « étaient protestants et non juifs ».

Les Hollandais ont été bien chassés du Brésil lors de sa reconquête par les Portugais en 1654, mais pour aller aux Provinces Unies, à la Barbade et à la Nouvelle-Amsterdam (future Manhattan, alors hollandaise), où l'arrivée de 23 juifs du Brésil en 1654 est à l'origine de la communauté juive de New-York et des futurs États-Unis, malgré l'hostilité du gouverneur Pieter Stuyvesant.



Antisémitisme  racial

L'antisémitisme racial se définit comme la haine des juifs en tant que groupe racial ou ethnique plutôt que sur des fondements religieux. Il considère que les Juifs sont une race inférieure à celle de la nation dans laquelle ils vivent.

L'antisémitisme racial trouve des occurrences historiographiques dans un phénomène s'apparentant aux lois espagnoles de la pureté de sang (limpieza de sangre) quand, de 1501 jusqu'au XIXe siècle, le fiqh (jurisprudence islamique) des Saffavides de la Perse chiite interdit aux Juifs de sortir par temps de neige ou de pluie, de crainte d'une souillure par eux des éléments et que ces éléments ne souillent à leur tour un Musulman. De par leur impureté intrinsèque, ils ne peuvent pénétrer dans une boulangerie ou acheter des fruits frais afin de ne pas contaminer le lieu ou les aliments. En France, l'Ordre des Carmélites inscrit dans ses règlements aux XVIe et XVIIe siècles l'interdiction d'y accepter toute religieuse d'origine juive.

La théorie raciale se développe particulièrement dans les mouvements eugénistes et scientistes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle qui considèrent que les « Aryens » (ou le peuple germanique) sont racialement supérieurs aux autres peuples.

Au début du XIXe siècle, des lois entrent en vigueur dans certains pays d'Europe de l'Ouest permettant l'émancipation des Juifs. Ils ne sont désormais plus obligés de vivre dans les ghettos et voient leurs droits de propriété et leur liberté de culte s'étendre. Pourtant, l'hostilité traditionnelle envers les Juifs sur des bases religieuses persiste et s'étend même à l'antisémitisme racial. Des théories ethno-raciales comme celles de l'Essai sur l'inégalité des races humaines (1853-55) de Joseph Arthur de Gobineau participent à ce mouvement. Ces théories plaçaient souvent les peuples blancs européens, et particulièrement la « race aryenne », au-dessus du peuple juif.

Il s'agit donc d'une idéologie laïque prenant le relais du vieil antijudaïsme religieux et s'y substituant. Les nouvelles formes d'hostilité qui s'en manifestent sont donc détachées de toute connotation religieuse, du moins dans la représentation que se fait d'elle-même cette idéologie.

S'inspirant de Gobineau, le Roumain  Alexandru C. Cuza  considère les Juifs comme relevant d'une « race » biologiquement différente qui empoisonne son pays par sa simple existence, et souligne la base de son idéologie dans les enseignements de l'Église orthodoxe ; ce nouveau type d'antisémitisme est appelé par l'historien Jean Ancel l'« antisémitisme raciste chrétien ».

L'antisémitisme tient une grande place dans l'idéologie nazie d'Adolf Hitler, führer de l'Allemagne nazie de 1933 à 1945. Les nazis, mouvement néo-païen, ne firent d'ailleurs aucune différence entre les Juifs orthodoxes et laïcs, les exterminant qu'ils pratiquent le judaïsme ou soient baptisés chrétiens, voire engagés dans une vie religieuse chrétienne


Antisémitisme politique

Affiche antisémite et antisoviétique de la propagande nazie, rédigée en lituanien (en haut : « Un Juif est votre ennemi éternel » ; en bas : « Qui a emprisonné des millions de personnes dans les camps de travail ? Un Juif ! »), 1941.

L'antisémitisme politique se définit comme une hostilité envers les Juifs fondée sur leur supposée volonté de s'emparer du pouvoir au niveau national ou mondial, ou leur volonté de dominer le monde au travers d'un « complot international ».

Les Protocoles des Sages de Sion, un faux se présentant comme un plan de conquête du monde établi par des Juifs, sont généralement considérés comme le début de la littérature contemporaine de la théorie du complot juifDaniel Pipes note que le document développe des thèmes récurrents de l'antisémitisme du complot : « les Juifs complotent toujours », « les Juifs sont partout », « les Juifs sont derrière chaque institution », « les Juifs obéissent à une autorité centrale, les vagues Sages », et « les Juifs sont proches de réussir leur plan ».

L'antisémitisme politique se démocratise particulièrement durant l'entre-deux-guerres à la suite de la Révolution russe de 1917, notamment sous l'influence des Russes blancs, avant d'être récupéré par l'idéologie nazie. Il reposait sur l'idée que les « judéo-bolchéviques » tenteraient de prendre le pouvoir en imposant le communisme ou l'anarchisme à travers le monde.

Le concept apparaît alors comme un renouvellement de la théorie du complot juif qui se superpose, sans le remplacer, au mythe développé par l'antisémitisme économique du Juif responsable du capitalisme.

Il s'appuie également sur le fait qu'un certain nombre de penseurs ou de révolutionnaires communistes et anarchistes étaient réellement juifs ou d'origine juive : les théoriciens Karl MarxRosa LuxemburgEmma GoldmanGeorg Lukacs et Ernest Mandel ; ou bien, en Russie, les cadres bolcheviks TrotskiMartovLénineSverdlovKamenevBermanZinovievKunLosovskiRadek, ou Yagoda. Ainsi, et pour certains des Russes favorables au régime tsariste, l'assassinat de la famille impériale par les Bolcheviks était forcément l'œuvre d'un « complot juif » et cette interprétation contribua à alimenter le climat antisémite en Russie.

 

Inscription : « Le Judaïsme tend à l'hégémonie mondiale ».
Les Juifs étaient accusés par les 
nazis de chercher à s'emparer du pouvoir à travers les partis communistes, le syndicalisme ou l'anarchisme. 1942.

Ce fait a également été repris par l'argumentaire nazi pour justifier l'existence d'un complot judéo-bolchévique visant à dominer l'Europe, et pour réprimer violemment les militants communistes. Les Juifs furent par ailleurs accusés, après la Première Guerre mondiale, d'être les responsables de la défaite allemande. Ce mythe, nommé en allemand Dolchstoßlegende (le « coup de poignard dans le dos »), fut une tentative de disculper l'armée allemande de la capitulation de 1918, en attribuant la responsabilité de l'échec militaire aux Juifs, mais aussi socialistes, aux bolcheviks et la République de Weimar.

Regardant d'un autre côté de la lorgnette politique, le socialiste allemand, August Bebel, disait de l'antisémitisme qu'il est « le socialisme des imbéciles » – expression souvent reprise par ses amis sociaux-démocrates à partir de 1890 et encore aujourd'hui.

Nouvel antisémitisme

Les théoriciens du nouvel antisémitisme avancent que l'antisionisme peut parfois cacher une idéologie antisémite. Ici une manifestation contre la guerre de Gaza en Tanzanie, 2009.

Dans les années 1990 naît un concept inédit, celui d'un nouvel antisémitisme qui se serait développé aussi bien dans des partis de gauche que de droite, ainsi que dans l'islam radical. Pour certains auteurs, ces « nouveaux antisémites » se cacheraient désormais derrière l'antisionisme, l'opposition à la politique israélienne et la dénonciation de l'influence des associations juives en Europe et aux États-Unis — voire parfois même derrière l'anticapitalisme et l'antiaméricanisme —pour exprimer leur haine des Juifs.

Bernard-Henri Lévy réfère le nouvel antisémitisme à trois raisons principales :

·       1. L’antisionisme : « Les juifs seraient haïssables parce qu’ils soutiendraient un mauvais État, illégitime et assassin ».

·       2. Le négationnisme : « Les juifs seraient d’autant plus haïssables qu’ils fonderaient leur Israël aimé sur une souffrance imaginaire ou, tout au moins, exagérée ». Ainsi, le 4 mai 1961 le député et vice-ministre des Affaires étrangères égyptien Hussein Zulficar Sabri avait disculpé Hitler du massacre des Juifs d'Europe en déclarant « les sionistes firent des promesses mais ne les tinrent jamais, pour obliger Hitler à commettre des crimes et créer une légende permettant d'aboutir, finalement, à la création de l'État d'Israël ».

·       3. La compétition des victimes : Les juifs commettraient « un troisième et dernier crime qui les rendrait plus détestables encore et qui consisterait, en nous entretenant inlassablement de la mémoire de leurs morts, à étouffer les autres mémoires, à faire taire les autres morts, à éclipser les autres martyres qui endeuillent le monde d’aujourd’hui et dont le plus emblématique serait celui des Palestiniens ».

Pour l'historien Bernard Lewis, le « nouvel antisémitisme » représente la « troisième vague » ou la « vague idéologique » de l'antisémitisme, les deux premières vagues étant l'antisémitisme religieux et l'antisémitisme racial. Il estime que cet antisémitisme prend ses racines en Europe et non dans le monde musulman, l'Islam n'ayant pas la tradition chrétienne d'exagérer la puissance juive. L'obsession moderne vis-à-vis des Juifs dans le monde musulman est donc un phénomène récent qui dérive du Vieux-continent. L'émergence dans certains établissements scolaires de ce nouvel antisémitisme serait donc liée à une montée du communautarisme islamique et à la diabolisation de l'État d'Israël.

 

Pancarte lors d'une manifestation à San FranciscoÉtats-Unis, 2003.

Les critiques du concept de « nouvel antisémitisme » arguent quant à eux qu'il mélange l'antisionisme et l'antisémitisme, qu'il donne une définition trop étroite de la critique faite à Israël et trop large de sa diabolisation, ou encore qu'il exploite l'antisémitisme dans le but de faire taire le débat sur la politique israélienne.

 

Pour Norman Finkelstein, par exemple, le « nouvel antisémitisme » est un argument utilisé périodiquement depuis les années 1970 par des organisations telles que la Ligue antidiffamation (équivalent américain de la LICRA) non pour combattre l'antisémitisme, mais plutôt pour exploiter la souffrance historique des Juifs et le traumatisme de la Shoah dans le but d'immuniser Israël et sa politique contre d'éventuelles critiques ». Pour appuyer cette thèse, il cite le rapport de 2003 de l'Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes qui inclut, dans sa liste d'activités et de croyances antisémites, des images du drapeau palestinien, le support à l'OLP, ou la comparaison entre Israël et l'Afrique du Sud du temps de l'apartheid. Finkelstein soutient par ailleurs que les dérives de l'antisionisme vers l'antisémitisme sont prévisibles et non spécifiques aux Juifs : le conflit israélo-palestinien contribue au développement de l'antisémitisme tout comme les guerres du Vietnam et d'Irak ont contribué à la montée de l'antiaméricanisme dans le monde.

 

La difficulté de dessiner une frontière précise entre antisémitisme et antisionisme est illustrée par le fait que l'essayiste Alain Soral — condamné par la justice pour injure raciale, provocation et incitation à la haine raciale — et l'humoriste Dieudonné — dont la condamnation pour démonstration de haine et d’antisémitisme en France a été confirmée par la Cour européenne des droits de l'homme — sont accusés par les médias et une partie de la classe politique française de se dissimuler derrière la critique du sionisme et du pouvoir supposé d'un lobby juif pour diffuser des idées antisémites. Soral, plusieurs fois condamné pour ses propos, se défend de ces accusations en affirmant ne pas fustiger ce qu'il nomme les « Juifs du quotidien » — ou la communauté juive dans son ensemble —, ou encore les courants spirituels du judaïsme, mais faire la critique de la « domination d'une élite communautaire juive organisée » en France et aux États-Unis ; de la politique israélienne en Palestine ; ainsi que des valeurs de ce qu'il nomme la « philosophie talmudo-sioniste », perçue par l'essayiste comme une lecture « belliqueuse » et « racialiste » de la Torah.

 

Alain Soral avance, par exemple, que si un « Juif spiritualiste » traduit dans l'expression biblique de « peuple élu » une alliance entre Dieu et un « peuple choisi », invité à devenir un modèle de moralité pour les autres peuples, un « Juif racialiste » y lirait une preuve de la supériorité raciale et divine des Juifs sur le reste de l'humanité.

 

La définition de l'antisémitisme adoptée par le Parlement européen ne mentionne pas explicitement l'antisionisme. Toutefois, l'un des exemples d'antisémitisme qui l'accompagnent est le suivant : « Refuser au peuple juif son droit à l'autodétermination par exemple en affirmant que l'existence d'un État d'Israël est une entreprise raciste ».

Pour sa part, le sociologue Shmuel Trigano considère que « l’usage courant qui est fait du mot " juif " dans le discours public relève souvent d’une véritable pathologie ».




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